Euphémismes, ambivalences, amateurismes
“Notre projet pour les Parisiens” s’ouvre sur une lettre de présentation signée de Marielle de Sarnez. Un paragraphe est consacré aux ressources :
Ce projet sera entièrement financé, sans que la pression fiscale que vous subissez n’augmente, sans endetter davantage la ville. Toutes nos propositions seront financées soit par redéploiement de la fiscalité existante, soit par un effort mesuré d’investissement.
Pas d’augmentation des taux d’imposition. Peu d’augmentation des recettes fiscales à prévoir, donc. Ce qui implique de changer l’affectation des ressources existantes. Dans la langue transparente de Marielle de Sarnez, ce changement s’appelle un “redéploiement de la fiscalité existante”. Par fiscalité, il faut entendre ressources fiscales, mais tout le monde rectifie de lui-même, il suffit de savoir que Marielle de Sarnez euphémise tout ce qu’elle peut.
Mais la formulation n’est pas seulement approximative. Elle est incomplète. Elle oublie les autres recettes (non fiscales), les dotations de l’Etat, et les autres dotations. En tout, près de la moitié du budget (47%).
Ce n’est pas grave. Cela veut seulement dire qu’elle n’a pas une idée très précise de tout ça. Mais il y a la suite, qui est plus surprenante. Car il y a, semble-t-il, une alternative aux ressources classiques, déjà mentionnées. Cette forme de financement inédite est constituée par “un effort mesuré d’investissement”.
Certaines de nos propositions pourraient donc être financées, non par une recette, mais par un investissement ? Là, il faut reconnaître que c’est révolutionnaire. Un investissement qui ne se compte pas comme une dépense, mais comme une recette ? Sauf si l’on parle des recettes d’investissements (ventes d’immeubles de la ville, ventes d’actions de la SAGI). Mais c’est le contraire d’un effort d’investissement.
A moins que … l’euphémisme forcené de Marielle de Sarnez ait effacé complètement ce qu’elle voulait dire, jusqu’à ne plus vouloir rien dire. Elle évoquait peut-être, le plus délicatement possible, une diminution (”effort mesuré”) des investissements ?
Ces contorsions rhétoriques sont grotesques. Elles engendrent l’incompréhension, la méfiance et l’incrédulité. Notre programme est retors, à l’opposé de toute clarté. Imprégné de cette roublardise maladroite qui constitue l’essentiel patrimoine culturel légué au MoDem par l’UDF.
il est bien évident que nos propositions impliquent la suppression d’une certaine proportion des dépenses actuelles. D’autant plus qu’une partie d’entre elles est financée par recours à l’emprunt. Quelle proportion des dépenses actuelles doit être supprimée pour financer nos propositions ? Notre projet ne donne pas de réponse à cette question, si élémentaire, pourtant.
A fortiori, il ne faut pas espérer y trouver des indications sur les programmes affectés, diminués ou supprimés, sur des économies de fonctionnement, des réductions d’effectifs, de subvention ou autre. Pourtant, la moitié de notre projet est nécessairement faite de réduction des dépenses, on a vu pourquoi.
La partie budgétaire est bâclée dans les trois dernières pages (70 à 72). On ne l’a même pas relue, sinon, on aurait corrigé des erreurs flagrantes :
les contributions obligatoires aux structures intercommunales (transports, ordures ménagères principalement) et aux instances liées à la ville mais juridiquement distinctes (centre d’action sociale, Préfecture de police), soit 1 million ;
Ce serait plutôt dans les 250 ou 300 millions, à mon avis.
En haut de la page 71 :
Par ailleurs, les dépenses d’investissement se sont fortement accélérées en doublant en 3 ans, provoquant une croissance de l’endettement de la ville ; les dépenses de fonctionnement se sont également accrues.
Deux paragraphes plus loin, une petite piqûre de rappel :
les dépenses d’investissement ont atteint un niveau élevé, provoquant une croissance de l’endettement de la ville ;
Ayant lu cela deux fois, vous vous demandez sans doute comment Marielle de Sarnez va euphémiser la réduction des investissements ? Voici :
- maintenir l’effort d’investissement pour financer les programmes prioritaires de la ville.
Tordu, non ? Pas “concentrer l’effort d’investissement sur les programmes prioritaires pour diminuer son montant global”. Pas même l’hypocrite “revoir l’effort d’investissement en fonction des priorités”.
Non. Comme il s’agit de diminuer quelque chose, le mot qui s’impose est “maintenir”. Nous sommes décidément dans la bonne vieille ambivalence centriste, celle qui va nous “maintenir” nettement au dessous du seuil des 10%.