L’Indépendance de Saint Guy, du mystère au miracle

En mars dernier, le jury électoral, en dépit de ses goûts assez larges, a rencontré d’énorme difficultés à juger l’exécution de la chorégraphie municipale du Mouvement Démocrate. Des membres du jury ont confié que cette oeuvre très novatrice, intitulée “L’Indépendance de Saint Guy“, les avait laissés perplexes. Les extraordinaires performances de contortionisme de cette nouvelle troupe n’ont pas convaincu. “Plus proche de l’esprit du cirque que de la danse“, dit-on. “Même d’avant-garde“, ajoute-t-on. Résultat, une certaine imcompréhension : 3,24 % de votes favorables.

Certaines oeuvres demandent du temps pour être appréciées. Il faut laisser mûrir leur souvenir en soi. Tenez : j’avais relevé une séquence assez énigmatique de “L’Indépendance de Saint Guy“, en me livrant à quelques hypothèses indécentes sur son sens. Elles tendent à se confirmer aujourd’hui. A se confirmer et à se compléter.

Janvier 2008. Nathalie Boulay-Laurent, avec l’investiture du Mouvement Démocrate, annoncée par Bayrou en personne, a rejoint sa seconde place sur la liste de Serge Dassault, à Corbeil en Essonne. Il n’y avait là rien d’inattendu pour Bayrou. Il le rappelera lui-même sur France Info. Elle faisait partie de l’équipe municipale de Serge Dassault depuis six ans.

Dès le 31 janvier, Le Parisien s’intéresse au cas. Eric Azière, interrogé par l’AFP, n’hésite pas à affirmer : «c’est plutôt une conversion de Serge Dassault à Nathalie Boulay-Laurent que l’inverse.» Connaissant Eric Azière, on devine que cette réponse amusante ne lui est pas venue subitement. C’est un pur produit de brain storming.

Le Parisien mentionne pour finir ceci : “Selon une source au MoDem, Serge Dassault se serait engagé à lui laisser la mairie pendant la mandature, ce que l’entourage du sénateur-maire, joint par l’AFP a formellement démenti.” La source ? Facile. Eric Azière, toujours, mais “unplugged”. Et cette fois, l’inspiration était moins heureuse. Pour se rendre plus crédible, on en rajoute. Jusqu’à dépasser la dose. Et on se retrouve à zéro, avec un démenti formel.

Le 9 février 2007, à partir de 8 h 45, Bayrou est interrogé à ce sujet sur France Info. Extraits, avec entre crochets les sous-entendus :

Le journaliste : La candidate du Modem fait campagne avec Serge Dassault : Sénateur, industriel, propriétaire du Figaro. Est il devenu votre allié ?

François Bayrou : Je pense que vous voulez sourire [si vous espérez me faire avouer cela, vous rêvez]. Il se trouve, si je suis bien informé, que cette candidate était déjà adjointe dans cette municipalité [il me serait difficile de prétendre que je ne savais pas ce qu’elle ferait de son investiture, mais attendez un peu, je vais vous trouver autre chose]. En tout cas pour moi, évidemment je ne rentre pas dans cette collusion-là. [en attendant de trouver mieux, je me dérobe devant mes responsabilité de président du mouvement. Aïe ! “Pour moi” ? Par opposition à qui ou à quoi ? J’ai peut-être été trop loin. Que va-t-il me sortir ?].

Le journaliste : C’est à dire que le Modem se désolidarise de cette liste ?

François Bayrou : [Bon, je m’en tire pas trop mal] Le Mouvement Démocrate a sa propre vision et elle n’est pas résumable à une liste UMP dans cette ville. [ Le Mouvement Démocrate est officiellement engagé dans une alliance avec Serge Dassault, mais en même temps, grâce à sa vision, il n’est “pas résumable à” cela, ou mieux, il est “irréductible à” cela. Car une vision, c’est aérien. Ca ne se laisse pas éclabousser par des faits terrestres. Je te réponds donc à côté, mon petit gars. Ni : “oui, le mouvement Démocrate se désolidarise de cette candidate, et présentera une liste contre Serge Dassault”. Ni : “non, nous sommes solidaires de cette candidate, et nous sanctionnerons tous les militants qui tenteront de présenter une liste contre celle de Serge Dassault”. Et voilà comment le projet, les valeurs et les convictions servent à remplir les vides laissés par le sens des responsabilités. Facile. ]

Le journaliste : Donc vous ne soutenez pas cette liste UMP dans cette ville qui est l’une des villes symboles de la collusion des politiques et des média.

François Bayrou : “Vous avez compris”. [ … si vous y tenez, croyez-le. De toute façon, même si je suis l’allié de Serge Dassault, je suis bien décidé à laisser entendre le contraire, à chaque fois qu’un zigoto dans votre genre tentera de me faire cracher le morceau].

Le 11 février, un article d’AgoraVox rend compte de ces désordres locaux et engendre une discussion assez longue dans laquelle les partisans de Bayrou prétendent que Nathalie Boulay-Laurent s’est ralliée contre la volonté de Bayrou, et que son désaveu indirect et mou est cependant sincère. Il ne répondent pas aux objections que leur fait l’auteur de l’article : aucune sanction, aucune risposte locale : le laxisme envers la dissidente est total.

Tout cela tend à confirmer l’hypothèse de la duplicité. Celle-ci me paraissait d’ailleurs flagrante dès février.

- Bayrou a-t-il choisi d’aider le propriétaire du Figaro (un peu plus que l’avionneur, pour l’instant) à se faire réélire à la mairie de Corbeil ?

- A-t-il voulu que Nicole Boulay-Laurent soit présente au premier rang dans son équipe municipale (elle était seconde sur sa liste), de manière à faire éventuellement la liaison entre eux ?

- A-t-il voulu se montrer très ferme en sanctionnant toute vélléité d’indépendance chez les militants locaux, de manière à démontrer à Serge Dassault que le soutien était entier et qu’il était délibéré de sa part ?

Cela ne contredirait en rien l’adoption d’une ferme ligne d’indépendance. Au contraire. Le sacrifice qu’en aurait fait Bayrou pour se concillier Dassault, en cette occasion comme en beaucoup d’autres, n’en aurait que plus de prix.

Dassault n’est pas du tout content de ce que dit le ministre de la Défense sur le Rafale, par exemple, et sur d’autres sujets. En se rapprochant de Bayrou, il se rapproche de quelqu’un qui connaît bien Hervé Morin, et qui, espère-t-il peut-être, pourrait éventuellement lui donner un coup de main. En cas de besoin.

En attendant, Bayrou est certainement satisfait de constater que le Figaro le traite miraculeusement bien. Ce qui prouve que la séparation des pouvoirs, chez notre sénateur-maire-propriétaire-de-presse-fournisseur de la défense, se fait sans difficulté.

Le 8 juillet, dans Le Figaro, Marielle de Sarnez, “la” vice-présidente du MoDem, est l’invitée du «Talk Orange-Le Figaro».

Le résumé des échanges s’achève par cette remarque un peu hors sujet :

” Dans un sondage à paraître demain dans L’Express, François Bayrou [45 %] conforte sa place en tête des personnalités dont les Français souhaitent voir croître «l’influence», juste derrière Bertrand Delanoë [51 %].”

Voilà une remarque pleine de bienveillance. Rodolphe Geisler passe sous silence, avec une certaine abnégation, le résultat beaucoup moins flatteur que Bayrou obtient à la même question, au même moment, dans un autre sondage. Celui que finance Le Figaro Magazine. Bayrou y occupe la 5ème place, derrière Delanoë, Kouchner, Strauss-Kahn, Fillon, à égalité avec Besancenot.

Le 9 juillet, Rodolphe Geisler recueille cette fois les propos de Bayrou. Notons les réactions des lecteurs souvent très favorables à Bayrou.

Cette sensibilité particulière du lectorat du Figaro peut aussi se voir, comme en négatif, dans les réaction à l’annonce très sobre (d’après l’AFP, le 2 juillet), de l’exode de 33 % des députés résiduels du Mouvement Démocrate (ils sont trois) vers le Nouveau Centre :

“Le député centriste d’Ille-et-Vilaine Thierry Benoit, élu en 2007 sous l’étiquette MoDem, a rallié le groupe Nouveau Centre à l’Assemblée nationale, comme membre apparenté, a-t-on appris mercredi auprès du groupe”.

Voilà de quoi réviser notre jugement esthétique sur L’Indépendance de Saint Guy. Une oeuvre accueillie sévèrement voici quelques mois, faute d’avoir su saisir sa thématique centrale, excusez le jargon. En réalité, à condition de l’éclairer sous le bon angle, l’oeuvre - méditation profonde sur le miracle du grand écart - apparaît comme une contribution majeure à la chorégraphie municipale contemporaine.

One Response to “L’Indépendance de Saint Guy, du mystère au miracle”

  1. Claire M3T Says:

    Bravo l’artiste !

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