“Affectueusement”

(sur e-soutiens, à propos de la formule qui achève le message de voeux envoyé en SMS aux adhérents)

Mon intuition me dit que si Sumergocogito s’était choisi le point de départ de Descartes, autrement dit “je pense”, il aurait fait comme Descartes : il ne serait plus là depuis longtemps. Car il y a dans “je pense” un point de départ vers ailleurs. Le point de départ des “passions de l’âme” autant que de la raison, d’ailleurs. Qui s’assume comme liberté.

Mais Sumergocogito n’est pas un aventurier. S’il est encore là, c’est parce qu’il est plus proche de Pascal, pour rester dans l’époque. Autre point de départ. Priorité subtilement donnée au corps, avant même le coeur, et au dire sur le croire : “agenouille-toi et prie”. Ce qui fait de Pascal un sociologue bien plus lucide que Descartes (par exemple dans les “Trois discours sur la condition des grands”, qui s’appliquent à notre cas).

Il sait donc autant que vous, sinon plus, qu’un “cordialement” n’implique pas le coeur, qu’un “amicalement” n’implique pas l’amitié. De même, bien sûr, a fortiori, pour un “affectueusement”, qui n’implique pas d’intimité réelle. Tous ces décalages sont des marques convenues de bonne entente, correspondant d’ordinaire à une exagération convenue de la relation réelle. Mais l’écart est réglé.

Un adverbe de manière se choisit donc avec la connaissance des bonnes manières, et cela peut se faire avec délicatesse, éventuellement, en s’écartant des banalités. Autre écart, lui aussi réglé.

Le coeur pourrait-il s’abstraire de toute mesure par une formule magique ?

Non, les écarts sont réglés, et le coeur, connaissant les usages, contribue à leur mesure. Pour l’illustrer à la manière de Pascal : un “angéliquement” échoue forcément en un “bestialement”. Au plus grand écart correspond le plus grand mensonge. Pascal est un scientifique, comme Descartes, qui a le sens de la mesure. Et c’est aussi, ce que n’est pas Descartes, un ingénieur. La priorité au corps se voit aussi dans sa machine à calculer.

En matière de bonnes manières, nous avons tous notre machine à calculer. A calculer l’écart conforme au coeur, l’écart délicat qui marque l’attention portée à la singularité d’une relation. A calculer le rang que se donne quelqu’un par le choix de sa formule, à calculer celui qu’on lui donne par rapport à soi en choississant la sienne, etc.

Nous avons notre machine à calculer à nous, qui nous vient de notre éducation et de notre expérience. Notre coeur y trouve des raisons que la raison ignore. Notre raison y trouve un coeur que le coeur ignore. Au bout du compte, le résultat est toujours le produit des deux, et ne saurait opposer l’un à l’autre. Le cri du coeur désigne, faut-il le dire, ce qui sort de la machine sans avoir été calculé.

Je comprends ce que dit Sumergocogito comme un calcul approximatif, un cri du coeur calculé de tête. Il a perçu l’écart comme excessif. Peut-être même comme transgressif. Cela le met mal à l’aise. Il n’a pas calculé précisément. Mais ce déplacement est calculable. L’univers intime, la maison, la famille, les amis, n’est pas celui de la cité, dont les sentiments, non moins vrais, sont d’une autre espèce. A l’extrême : la confusion à la Sarkozy (qui a toute mon indulgence, parce que je sais ce que c’est que d’être amoureux).

Il est sensible à cela. Il souffre, plus que vous, du mensonge dont ce dérèglement est l’indice. De ce manque de pudeur, auquel vous n’êtes pas sensible, mais qui de l’extérieur est une évidence. Le froid calcul qu’elle implique est effrayant. Et Sumergocogito, contrairement à vous, n’a pas peur d’être effrayé.

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.


phpMyVisites