Injonction paradoxale

On rencontre le même procédé assez souvent dans notre Mouvement : l’exemple type, c’est Ginisty (candidat désigné à Issy les Moulinaux) se plaignant sur son blog, après Seignosse, des râleurs, et leur disant : “Vous le voulez ? Faites-le !”. Je le cite :

“Au lieu de râler et de vous plaindre, commencez par bouger, prendre les choses en main et avancer. Une aventure politique, professionnelle, intime ne se construit pas d’attentisme candide et de passivité. Vous voulez changer les choses, contribuer à créer un nouvelle formation politique qui ne ressemble pas aux autres ? Alors bougez vous l’arrière train et mettez vous en marche. Donnez l’exemple et n’attendez pas qu’on vous donne le feu vert. Il n’y a pas de feu vert dans la notion d’initiative personnelle. Devenez des contributeurs plutôt que des assistés invariablement frustrés et arrêtez de râler. Ce que vous ne trouvez pas, créez le.”

www.ginisty.com/weblog/2007/09/rleurs-acadmie.html

C’est une technique intéressante, généralement utilisée par ceux qui détiennent le pouvoir pour faire face à des critiques, immédiatement traduites sous le terme de “plaintes” (dans la novlangue du Mouvement, vers le haut, ce sont des plaintes ; vers le bas, c’est une critique).

Le procédé (dit “injonction paradoxale”) a été largement utilisé ces derniers mois. Voyons de plus près comment cela fonctionne, et quels en sont les effets.

D’un côté, ceux qui détiennent le pouvoir. Ils ont décidé de ne rien en faire, sinon le garder. Le temps de se ré-organiser.

De l’autre, ceux qui veulent agir, et réclament les moyens d’agir. Il n’est pas question de les leur donner. Dans beaucoup de cas on se contente de leur dire qu’on ne les a pas. Mais cela reste défensif.

Or on peut, comme Yann, passer à l’offensive. Inciter à la révolte, à la subvertion, à la guerre. Et leur dire (voir mon dialogue avec lui) :

Ta fédé n’organise pas de réunion ? Organises-les toi-même en faisant un communiqué dans les médias locaux.

Ta fédé se fout de ta gueule en te disant qu’elle ne peut pas avoir accès au fichier ? Dénonces-le publiquement et largement.

[…]

Tu n’as jamais trouvé une seule personne de ta fédération en six mois sur Internet ??????????????????????????????????

[…]

Et tu as laissé faire cette situation ? Il y a bien longtemps que je n’aurais donné que deux choix à ta fédération : mettre en oeuvre un fonctionnement démocratique et rassembleur ou porter la responsabilité du chaos que tu aurais pu provoquer.

[…]

Et si on te refuse le dialogue alors il faut être ferme et dire “dehors !”, que ce soit à un ex-UDF ou à un nouvel adhérent.

On peut même y aller carrément dans le ton supérieur et insultant, comme beaucoup l’ont remarqué :

Et pour le côté insultant, je n’ai pas plus d’estime pour les rois fainéants ou mécréants que pour les manants du même genre.

Or, à chaque fois que nous avons réclamé les moyens de faire quelque chose qui nous semblait nécessaire, c’était toujours parce que la chose, pour être faite, ne pouvait se faire qu’avec le pouvoir de la faire. C’est un pouvoir qui était demandé. C’est un pouvoir qu’on ne voulait pas partager.

L’injonction paradoxale revient donc souvent à ceci : vous n’aurez pas ce pouvoir, car nous n’avons pas l’intention de partager. Il ne vous reste donc plus qu’à vous conduire comme des irresponsables. Et allez-y franchement ! Les meilleurs seront récompensés.

Vous noterez comment j’ai répondu aux provocations répétées de Yann :

Je connais la technique. Les cadres de l’DF en use et en abuse : “on ne sait pas se révolter ! On est pas assez subversifs ! C’est de notre faute !” Le procédé est éculé.

[…]

C’est intéressant de voir d’un seul coup déborder la haine, les insultes, le mépris. Ca promet. On va bien s’amuser, au congrès.

[…]

Pourquoi provoquer le chaos ? Si nos interlocuteurs craignaient le chaos, ils se comporteraient autrement. Mieux vaut leur en laisser la responsabilité, puisqu’il est inévitable.

[…]

Mais pourquoi faire la guerre contre un adversaire qui pourrait aussi bien se détruire tout seul ?

[…]

dire “dehors !” à qui ? Je n’ai pas de problèmes avec les gens de ma section

Bref, j’ai tenu un langage responsable. Ce n’était pas difficile. Yann à insisté beaucoup, toujours plus frustré, en allant toujours plus loin dans la provocation. Sans succès.

J’en viens maintenant à Bayrou. Lui aussi, use et abuse du procédé. Exemple, tiré du débat à l’Imprévu, le 14/11 (recueilli par FrédéricLN) :

Guillaume Labaque, Tours, nouvel adhérent : Nous partageons tous complètement ce message d’union UDF-Modem, mais sur le terrain, c’est plus compliqué ! Vous dites qu’il n’y a pas de pouvoir à prendre, mais au niveau local, pour être conseiller municipal d’une ville de 2500 habitants il y en a qui tueraient père et mère !

En Indre-et-Loire, nos responsables nous disent qu’on sera allié à Loches avec l’ancien chef de cabinet de Madelin, pourquoi pas, à Langeais avec le PS dès le premier tour, pourquoi pas, mais aucune de ces alliances n’est sur la base de projet ! Nous n’avons aucun projet ! Ce sont deux-trois personnes par ville qui vendent l’étiquette modem pour entrer sur les listes ! Je crains que ça ne se passe comme ça un peu partout en France. On va perdre énormément de crédibilité. Nos adversaires et les médias nous attendent sur le terrain “on est opportunistes”, on n’est pas opportunistes !

François Bayrou : Eh bien écrivez les valeurs ! Et tournez-vous vers les instances en disant : “j’ai écrit les engagements et les règles”…

[…]

Question : Toujours pour en rester sur les statuts, et après on en termine là-dessus (salle : “non !”), je vais te donner une réaction du petit militant modem du 14ème que je suis : quand je les ai reçus, un copain me les a envoyés par mail, j’ai cru que c’était une blague ! la copie conforme des statuts l’UDF ! C’est pas possible que François Bayrou, que je connais, que je soutiens, puisse nous envoyer des statuts pareils ! Je suis extrêmement déçu, je croyais qu’on était partis pour inventer le mouvement du 21ème siècle ! Un remake des statuts de l’UDF, je n’ai pas compris. Tu me rassures un peu en disant “tout est ouvert”… mais purée…

François Bayrou : Propose !

[…]

Quelquefois, je lis “ils veulent confisquer le pouvoir”, je pose une question naïve “quel pouvoir ?” (silence). Il n’y a aucune confiscation du pouvoir possible - pour l’instant ! (rire général)

[…]

Je suis prêt à utiliser tout le monde, mais je ne sais pas utiliser tout le monde. Et je ne suis pas sûr que vous sachiez tous non plus comment faire. Parce que depuis que je lance des appels pour qu’on me trouve des modèles, pour l’instant je n’ai pas eu de réponse absolue à tout ça !

Ça suffit pas de dire “on est compétents, utilisez-nous” !

Bref, on peut voir ici quelqu’un qui détient le pouvoir nier qu’il existe, et le prouver, même, en montrant qu’il n’en fait rien, et qu’il ne sait rien en faire. Et presque à chaque fois, cela se termine par l’injonction paradoxale “fais-le !”. Bien que de toute évidence, l’injonction s’adresse à quelqu’un qui n’est pas en position de de faire la chose jusqu’au bout efficacement, mais seulement en position de mimer ce qu’il faudrait faire, à condition d’avoir le pouvoir de le faire.

Bien sûr, comme c’est une injonction, il y a bien un pouvoir qui se manifeste. Et de la manière la plus forte, en demandant l’impossible : pour lui obéir, il faut faire comme s’il n’existait pas.

Les effets du procédé, pour finir. Je ferais court.

Longtemps, l’injonction paradoxale a servi à démobiliser en faisant mine de mobiliser. C’était son usage dilatoire. A riposter, face aux critiques de la base. C’est son usage tactique, de terrain. A dénigrer globalement toute critique, en particulier “virtuelle”. C’est son usage dissuasif.

Tout cela a fait beaucoup de dégats. En particulier, beaucoup, soumis à ce procédé, se sont découragés. Et sont même parfois profondément déprimés.

Mais le procédé est également dangereux pour ceux qui l’utilisent. Et on en a laregement abusé. L’injonction paradoxale produit aussi de la haine. Placés entre deux contraintes contradictoires, certains réagissent par la haine et la vengeance. Désormais, je crois, d’après ce que j’entends et je lis ça et là, que ce dernier effet devient de plus en plus fréquent.

J’espère avoir mis en évidence le mécanisme, aidé à sa détection, et donné des moyens de ne pas en être victime. A titre de préparation au congrès. Où j’irai, avec mon seul et unique amendement, décidé à faire tout mon possible pour ancrer d’autres méthodes au coeur de nos statuts.

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