Mirabeau
Autre message censuré sur e-soutien, lui aussi exemplaire, pourtant, dans sa modération. Il répond à buildfreedom.
Ma réponse censurée, sans aucune correction :
Des confusions faciles à démêler. Je les trouve quand même surprenantes de votre part, mon cher buildfreedom. Mes corrections se prolongeront par une excellente illustration de quelques principes de modération dans l’interprétation de l’histoire, et par quelques remarques sur les circonstances présentes qui s’y rapportent.
1°) Vous confondez procédure judiciaire et procédure tout court, pris dans son sens général, celui que nous propose le juriste Paul Cruche dans “Procédure civile et commerciale” (1958) : «série de formalités qui doivent être successivement remplies pour aboutir à un résultat déterminé».
La vérification et le compte des signatures faisait partie de la procédure impliquée par la règle. La vérification par un huissier est une procédure complémentaire, que la règle aurait tout aussi bien pu prescrire. C’est une pratique courante, en particulier lorsque une association, soucieuse de transparence, met en place un vote par correspondance, que d’en faire assurer la bonne tenue par la présence d’un huissier.
C’était d’ailleurs le moyen le plus simple de faire taire les inquiétudes exprimées par Thierry Cornillet et par d’autres, qui avaient semble-t-il quelque chose d’insultant.
Le qualificatif de procédurier, employé ici dans un sens péjoratif, prétendait voir dans l’intervention de l’huissier un acte ouvrant une voie de réglement judiciaire. En cas de litige, peut-être. Mais pas nécessairement.
La bonne pratique, lorsque l’on est responsable d’une procédure de validation, c’est de faire comme si un huissier était présent pour constater ce qui est fait. Je suis sûr que l’initiative d’Eric Julliard contribuera à instaurer un soin plus rigoureux des formalités chez des gens qui paraissent avoir précisément besoin de cela, puisqu’il est arrivé qu’un tribunal invalide leurs actes, vous le savez bien.
Deux procédures qui se complètent, donc. L’une pour appliquer la règle. L’autre pour vérifier qu’elle est appliquée. Il n’y avait pas d’autre moyen : c’est l’instance de contrôle interne elle-même qui est directement responsable de la consultation.
2°) Je suis plus surpris encore d’une autre confusion. Aux dates que j’ai mentionnées (mai 1789), Mirabeau n’était pas secrètement lié à la Cour. Les discours en question, comme les dizaines qui ont suivi, n’ont rien de suspect. Quel enfant n’a pas appris sa réponse à l’envoyé du roi, le 24 juin 1789 : ” … nous ne quitterons nos places que par la puissance des bayonnettes ” ?
J’avais crû comprendre que nous partagions le même culte de l’ordre chronologique.
3°) Un peu surpris, sans plus, de l’image simpliste que vous vous faites de Mirabeau. Elle reprend sans la moindre distance la perception que l’on avait de cette correspondance secrète au moment de sa découverte, chez ceux qui instruisait le procès de Louis XVI.
On peut voir les choses autrement. D’une manière plus dialectique. Plus libérale. Plus centriste :
Au début de l’année 1790 jusqu’à ce qu’il meure, presque subitement, le 2 avril 1791, Mirabeau est donc un homme politique dédoublé, jouant un rôle à l’Assemblée, un autre rôle auprès de Louis XVI. Le miracle, qui reste à expliquer, c’est que de cette double vie subsiste pour l’histoire, non pas une imposture, mais une fidélité, non pas un mensonge, mais une image de vérité.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire attentivement, comme une comptabilité en partie double, les deux registres où s’épanouit le génie écartelé de Mirabeau : ses discours publics à l’Assemblée, et ses notes secrètes à la Cour, publiées au XIXe siècle par son ami - qui était aussi son intermédiaire favori auprès du ménage royal - le comte de La Marck. A l’Assemblée, Mirabeau plaide pour le roi - ou plutôt pour le maintien d’une autorité royale. A la Cour, il plaide pour la Révolution, ou pour l’acceptation de l’irréversible. Dans les deux cas, il est pathétique. Solitaire, lucide, plein de feu, et conscient d’être inutile. La Marck l’a bien défini : « Il ne se fait payer que pour être de son avis ».
François Furet, Préface aux Discours de Mirabeau, 1973.
4°) Comme je l’ai évoqué ailleurs, les relations entre ceux qui s’opposent ouvertement à l’intérieur d’un parti sont souvent moins simples qu’il n’y paraît.
Ce n’est pas parce qu’Eric Julliard, lui aussi, a eu avec Bayrou une longue correspondance privée sur divers sujets que cette relation doit être suspectée. De même pour ce long entretient en tête à tête avec Bayrou, le 7 mai, si ma mémoire est bonne. Bref, Eric Julliard, lui non plus, n’est pas pour autant un agent double.
5°) A travers des relations entre opposants internes se jouent souvent de futures alliances avec des partis pour l’instant adverses, qui eux-mêmes sont divisés, et chez qui d’autres dirigeants font la même chose. C’est ce qui justifie dans une certaine mesure que soient tolérées des dissensions à l’intérieur du Bureau Exécutif, pourtant non représentatif et unitaire dans son principe. Mais si l’objet du conflit était réellement la ligne d’indépendance, alors, il faudrait immédiatement rétablir l’unité du Bureau, quitte à en exclure quelques uns.
S’ils sont encore là, alors que l’on consulte les adhérents sur la ligne d’indépendance, c’est pour préserver la possibilité de futures alliances et de futurs ralliements, tout en sachant que cela comporte un risque. Celui que les choses se fassent un jour en sens inverse, comme Bayrou semblait le craindre le 14 avril.
D’ailleurs, un Mirabeau suffit largement, s’il est actif. Il est peut-être superflu d’en entretenir une douzaine.
Manuel de Survie