Brouillon
Ci-dessous, pour mémoire, un trop long brouillon, oublié, daté du 8 juillet. Argumentation en faveur de l’unité de l’éxécutif, suivie de considérations sur la fondation du mouvement, le tournant d’avril, et la consultation de juillet.
Le Mouvement Démocrate s’est voulu unitaire. C’était se créer des contraintes incontournables à l’endroit de sa conduite et des organes d’exécution qui lui sont directement soumis. La première de toutes ces contraintes étant que cette conduite soit une.
Très au dessus d’une ligne d’action quelconque ajustée aux circonstances, comme l’est la ligne d’indépendance, si peu à la mode durant la campagne municipale, ce qui occupe le premier rang dans l’ordre des contraintes issues des statuts, c’est le caractère unique et unitaire de cette ligne. Jamais la conduite du Mouvement ne s’est conformée à cette contrainte.
Que l’on s’en tienne à ses déclarations ou que l’on considère ses actes, les intentions qui sont prêtées à Bayrou par les uns et par les autres diffèrent grandement. Les hypothèses se contredisent souvent.
Cet effet ambivalent n’est pas difficile à illustrer. Combien, parmi ceux qui s’apprêtent à approuver la ligne politique qui leur est soumise, le font avec l’idée qu’elle prolonge les déclarations du 14 avril, avec l’intention d’en finir avec les divisions qui affectent le Bureau Exécutif, combien croient que Bayrou va enfin user du pouvoir dont il dispose, celui d’y nommer et d’en exclure qui il veut ? Combien, parmi ceux qui approuvent son texte, y voient une manière de réaffirmer leur confiance envers l’homme qui parvient à faire tenir ensemble des gens aux intérêts et aux tendances si opposés, combien approuve Bayrou en sachant qu’ils ne sont liés entre eux que par sa présence ? Bref, combien y voit le soutien à l’intention de trancher ? Et combien y voit au contraire le soutien à l’intention de continuer ? Combien, enfin, s’en remettent à Bayrou pour choisir, sans voir qu’il s’en remet à eux pour ne pas choisir ?
L’unité est au principe de la conduite du Mouvement. Les statuts veulent que les membres de son Bureau Exécutif soient désignés par le président hors de toute préoccupation représentative. Pour des raisons d’efficacité, ses membres doivent donc se soumettre à la ligne politique définie et approuvée par les instances du mouvement. Autrement dit, selon les statuts, ils doivent se conformer à la ligne choisie par les représentants du Mouvement, et non par les adhérents eux-mêmes. Or, encore aujourdhui, ces instances représentatives ne sont toujours pas au complet. Manque la Conférence Nationale, et le collège des présidents départementaux. Le collège des adhérents du Conseil National lui-même, selon Bayrou, procède d’une “mauvaise” élection.
Le texte soumis aux adhérents par Bayrou contourne donc trois exigences : à la fois la nécessité de son propre engagement à réaliser l’unité dans l’exécutif, les règles que les statuts prescrivent en matière d’élaboration de la ligne politique, et la relation de responsabilité de l’exécutif à l’égard des représentants du Mouvement. Un impératif d’organisation et de stratégie, une contrainte juridique et une obligation morale. Qui, après cela, osera dire que Bayrou n’agit pas librement ?
Des modalités règlementaires conçues a posteriori sont venues permettre cette dérobade et ces courts-circuits, dont le prétexte était une menace à la fois interne et externe, mise en évidence par Bayrou dans sa conférence de presse du 14 avril. Que reste-t-il de ce prétexte aujourd’hui ? Où donc, dans la contribution de Bayrou, trouve-t-on plus que des traces à demi effacées de l’urgence qui justifiait toutes ces exceptions à l’esprit et à la lettre des statuts que nous nous sommes donnés ?
Ces considérations seraient-elles excessivement formelles ? Si l’on croit cela, c’est que l’on se fait de l’efficacité en politique une idée peut-être un peu trop abstraite. Parlons-en autrement.
Le principe de l’unité de la conduite du mouvement articule les deux versants de toute action politique : celui de l’organisation, et celui de la stratégie. Faute de cela, des actes tiennent lieu d’action. Des déclarations d’initiative diverses tiennent lieu de position. Des idées émises ici où là tiennent lieu de programme. Etc.
Sur le versant de l’organisation, le principe de l’unité comporte l’aspect de la conception, autrement dit de la traduction d’une ligne politique en plan d’action, et celui du soutien à la conduite de l’action, autrement dit des diverses fonctions de préparation et de coordination de l’action ordinairement dévolues à un état-major.
Sur le versant stratégique, l’unité répond à des principes d’efficacité bien connus : simplicité, sécurité, promptitude, souplesse, économie des forces, capacité de surprise. Le jeu politique favorise les organisations qui disposent de ces aptitudes et de ces capacités stratégiques. Pour autant, certes, que ce jeu n’est pas conçu comme purement rhétorique et stylistique, et qu’il ne se réduit pas à des actes de présence médiatique. La tentation est forte, pour un Bayrou comme pour une Royal et d’autres, de se passer d’organisation.
En tout cela, les statuts approuvés souverainement par le Congrès ont tranché. Un amendement aux statuts introduisant la représentativité dans le Bureau Exécutif a été vigoureusement combattu par Bayrou et par Bariani, puis rejeté par une majorité nette du Congrès. Ce principe unitaire, fixé le 1er décembre 2007, n’a pourtant pas tenu 24 heures. Dès le 2 décembre, il était ouvertement transgressé.
Souvenez-vous. Bayrou, à peine élu président du Mouvement, a inauguré son mandat en rompant avec ce principe. Il a désigné un Bureau Exécutif provisoire constitué de tout le spectre résiduel des particularités géographiques et culturelles de l’UDF. Ses membres n’avaient plus qu’à prouver leur “indépendance” personnelle, chacun à sa manière, en temps utile. Un bon quart d’entre eux l’a fait ouvertement, dans les six mois qui ont suivi.
La crise de Seignosse avait montré la difficulté de vendre l’UDF au MoDem. En ce 2 décembre, Bayrou espérait encore vendre le MoDem à l’UDF. Coûte que coûte. Les municipales approchaient.
A vrai dire, la vente se faisait déjà, au détail, dans une échoppe à l’enseigne de la Commission des Investitures. La ligne de l’indépendance, par son travail discret, a été distribuée en parts individuelles, sous forme d’investitures.
Pour illustrer cela, un exemple, qui n’est pas pris au hasard. L’indépendance de Nathalie Boulay-Laurent, présidente provisoire du Mouvement Départemental de l’Essonne, s’est rangée au second rang sur la liste du sénateur UMP Serge Dassault. Qui convoque-t-on aujourd’hui pour les sanctionner ? Non pas les nombreux Boulay-Laurent de tous les coins de France, mais ceux qui, un peu partout, leur ont résisté en tentant de constituer des listes indépendantes. A commencer par ceux de la circonscription de Monsieur Le Figaro.
Pour résumer de façon objective l’ensemble des négociations d’investiture, on peut constater que seuls 15 % du corps électoral avait la faculté de voter en faveur d’une liste du Mouvement Démocrate aux municipales. La troisième voie serait-elle trop étroite pour livrer le passage aux élus du mouvement ? Le fait est que tous les maires élus dans des municipalités de plus de 10 000 habitants l’ont été sur des listes d’alliances avec la majorité au pouvoir.
Très tôt dans la campagne, ça et là, les instances disciplinaires de l’UDF, comme des momies réveillées par l’appel sacré du Chacal, suspendaient haut et court les précurseurs de la ligne d’indépendance au sens strict, celle-là même qui fait l’objet de la présente consultation. Mesures invalidées et sanctionnées par les tribunaux, à l’occasion.
La vente du MoDem à l’UDF a pris une autre forme, cruciale : l’élection des Conseiller Nationaux du Mouvement. Celle que Bayrou, six mois plus tard, a publiquement jugé “mauvaise”. L’organisation de cette consultation a montré que l’anarchie débordait largement du Bureau Exécutif, et affectait quasiment tout l’encadrement provisoire du Mouvement.
Le régime réel du MoDem, hérité de la vieille UDF, c’est l’anarcho-féodalité. On lui a trouvé un beau nom : l’authenticité. Euphémisme qui édulcore le conservatisme Les partisans de l’indépendance sont unitaires. Les partisans de l’authenticité sont pluralistes. Bayrou, dans sa contribution, ne s’engage nullement à y changer quoi que ce soit. Il est même probable qu’il y voit une condition de sa survie. Et il est certain qu’il y voit une condition de sa réussite. Tout les changements à opérer en vue d’établir l’unité de l’exécutif sur la ligne de l’indépendant sont en son pouvoir direct et à sa portée immédiate depuis le premier jour. Il s’est bien gardé d’esquisser le moindre geste en ce sens. Il persiste au contraire à entretenir le réseaux d’intrigues qui le relie et l’oppose aux diverses couches sédimentaires qui constitue la géologie de la désertion centriste et, selon leur perméabilité, aux pôles d’oppositions internes de la majorité présidentielle.
Que s’est-il donc passé, en avril, pour que Bayrou se pose en victime, et fasse appel à la base ? Une note confidentielle adressée à Sarkozy, paru le 7 avril (si je me souviens bien) dans Le Monde, a révélé les continuités de ce réseau qui va du centre à l’UMP en passant ou pas par le Nouveau Centre. Non plus seulement au niveau local, comme les alliances aux municipales l’avaient spectaculairement démontré, mais aussi au niveau central. Réseau irrigués d’intrigues qui naissent aussi bien d’un côté que de l’autre, cela va de soi.
La note montrait surtout l’instabilité interne du Mouvement Démocrate, et suggérait des façons de l’exploiter, bien plus qu’elle ne révélait une manœuvre de déstabilisation en préparation ou en cours, comme Bayrou l’a prétendu. Mais comme les choses se présentaient sous l’angle de l’hostilité subie, on pouvait prendre la posture de la victime.
Il s’est aussi passer autre chose, dès le début d’avril, qui a certainement incité Bayrou à changer d’attitude. La “popularité” de Bayrou a fait une brusque chute de 4% ( voir le Baromètre Politique Figaro-Magazine mesuré par TNS-SOFRES ). Mais surtout, Strauss-Kahn s’est installé devant lui, avec 3% de plus. Différence qui n’a fait que s’accroître depuis. Royal passe également devant lui ce mois-là avec 4% de plus. Et Delanoë, de manière plus nette encore, avec 10% de plus.
En juillet, Strauss-Kahn et Delanoë sont toujours installé devant Bayrou, avec une bonne avance. Or jusqu’en avril, le rang de popularité de Bayrou dépassait toujours celui de toutes personnalités de la gauche (à part le cas spécial de Kouchner). Il a certainement été très affecté par cette rupture de tendance, largement confirmée depuis. Elle montrait qu’il n’était pas en progrès dans ses efforts pour se substituer au Parti Socialiste, dans l’incarnation de l’opposition. Bien au contraire
La consultation des adhérents, annoncée dans une conférence de presse le 14 avril, a donc aussi été conçue avec l’espoir qu’elle produirait dans l’électorat de gauche l’image d’un Bayrou soutenu par sa base dans sa lutte contre un appareil en passe de se laisser corrompre par Sarkozy.
Je crois avoir fait à peu près le tour des considérations utiles à la bonne lecture de la conférence de presse du 14 avril : “Ce combat n’est pas seulement pour nous, c’est un combat pour le pluralisme en France…” :
” […] C’est pourquoi je conduirai sans faiblir la contre-attaque contre ces manœuvres. Si c’est d’un combat qu’il s’agit, ce combat, nous allons le mener.
J’ai décidé d’en appeler aux adhérents, aux militants et aux sympathisants du Mouvement démocrate. C’est l’heure de la grande clarification pour échapper aux tentatives de déstabilisation et pour construire un mouvement cohérent.
Je le dis aux adhérents qui ont fait le Mouvement démocrate : c’est maintenant à vous de vous exprimer. C’est votre détermination qui fera tranquillement échec à toutes les manœuvres, d’où qu’elles viennent. Je vous appelle à exprimer votre conviction, à prendre à votre tour les choses en main.
Je vais donc soumettre au suffrage des adhérents, dans une consultation à laquelle chacun sera associé, un texte d’orientation qui ne laissera aucune place à l’ambiguïté. Et j’invite tout dirigeant qui ne serait pas d’accord avec la ligne d’indépendance que je défends à soumettre sa propre motion aux adhérents. Alors nous compterons les soutiens. C’est maintenant, devant nos adhérents et militants que tout débat doit être conduit et tranché.
Cette clarification devra être accomplie avant l’été pour que cessent les manœuvres de déstabilisation. Le 26 avril devant ceux qui ont porté nos couleurs aux élections municipales, le 14 mai devant notre conseil national, nous fixerons les conditions de cette consultation en même temps que le calendrier et les conditions de l’élection de nos instances locales.
Pour moi, les choses sont claires : je n’accepterai plus ni manœuvres internes, ni déstabilisation externe, ni le bazar. C’est vers nos adhérents que je me tourne. Il faut leur exposer clairement et nous le ferons, les données de la situation. Et il faut leur faire confiance pour trancher, pour fixer une fois pour toutes le cap et les règles, et donc le destin, de notre mouvement .”
Il n’y a pourtant rien de tel que l’on peut lire aujourd’hui dans la contribution que Bayrou soumet aux adhérents. L’intention du texte lui-même, pour autant qu’elle se laisse deviner, est plutôt de rassembler. Toutes les conditions d’un ratissage exhaustif s’y entassent. Les transports de l’âme ont leurs heures d’affluence. Il y en a pour les déçus du trotskysme - anti-capitalisme - des Verts - alter-modialisme - du socialisme - anti-sarkozysme - de la droite néo-libérale - anti-étatisme - du nationalisme - anti-américanisme - de la démocratie chrétienne - humanisme - et j’en passe.
Encore que ce ciment à prise rapide ne puisse faire oublier l’ambiance d’avril. Le gentil Lasalle, souvenez-vous, imaginait d’organiser une évacuation en charter : “charette”, en patois. A moins qu’il ait mis ce jour-là un bonnet rouge à son dictionnaire, comme disait Victor Hugo. Auquel cas la charette évoque une purification plus radicale.
Je m’aperçois que j’ai été très long, pardonnez-moi, et que j’aborde bien tardivement le texte de la consultation. Mais au fond, mérite-t-il d’être pris au sérieux ?
Résumons. L’idée de la consultation répondait directement à des manœuvres hostiles de la part de certains membres de son Bureau Exécutif. Comment le Mouvement pourrait-il fonctionner et agir si un conflit au sommet le paralyse ? Pourquoi, ayant tout pouvoir de le résoudre en mettant fin aux fonctions des membres qui s’opposent à lui, préfère-t-il se cacher derrière le consensus politiquement creux qui résultera de sa consultation ? En quoi une réponse favorable des adhérents serait-elle une solution contre cette hostilité interne ? Ne serait-elle pas plutôt perçue par Bayrou comme un encouragement à contourner indéfiniment la difficulté ?