Le vent du paradoxe

Nous sommes le 8 mai, la séance de travail dite informelle sur le règlement intérieur s’ouvre, présidée par Bayrou, qui vient d’accuser réception d’un mail imaginaire de Farid Taha, écorchant son nom au passage :

“J’ai exercé des responsabilités de n°1 ou n°2 depuis 1989, je puis affirmer que jamais le règlement intérieur n’a été objet de débats de pouvoir !”.

Dérobade métaphysique. Quelques minutes plus tard, les réalités de l’anarcho-féodalité reviennent au galop. A la charge, même. On constate que l’enjeu de la discussion est bien la distribution du pouvoir et la régulation de son usage :

“Un Mouvement départemental dans lequel tout va bien, grande cohésion, leader reconnu, il y en a quelques-uns, peut-être 5, 50, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques, les Landes, il y a intérêt à obliger les leaders à ouvrir un peu leur mode de fonctionnement.
Les départements nombreux où il y a des relations conflictuelles, si on désigne un chef et un seul, des minoritaires se sentiront exclus, et ce n’est pas mon objectif.”

Bayrou l’a déclaré, invoquant sa longue expérience du non-pouvoir à la tête de l’UDF, les réglements intérieurs se conçoivent depuis toujours hors de tout débat de pouvoir. Argument d’autorité. En donnant immédiatement la preuve flagrante du contraire, l’argument s’effondre. Mais simultanément, l’autorité grandit. Il faut être en position de force, pour défier le bon sens à coup d’incohérences aussi manifestes.

L’homme inspiré ne dit jamais de bêtises. Il ne se contredit pas. C’est tout juste si l’esprit critique qui lui fait face sent passer tout près de lui le vent du paradoxe.

Ce n’est pas de l’ivresse, comme celle d’Héliogabale, l’anarchiste couronné. Mais on peut déceler dans ce paradoxe la légère ébriété du pouvoir, exhibant sa maîtrise.

Le défi, la provocation, maniés d’entrée de jeu, ont pour but la prise le contrôle des événements. Cela va plus loin qu’un simple sondage d’ambiance. Bayrou, en réalité, a surestimé l’opposition qu’il allait rencontrée. Il avait prévu de susciter des objections de principes, détachées des questions concrètes, puis de les faire apparaître à tous comme des pertes de temps, des entraves au travail à faire.

Tel est l’immense avantage, bien connu, d’être d’en position d’imposer sa définition de l’objet du débat, en plus de le conduire. C’est aussi la meilleure façon de préparer l’acceptation de la solution, qui lui sera imposée, au bout du compte, elle aussi. Sous le sceau du participatif.

Le plus important, cependant, c’était de repérer dans l’espace de la salle, dès le départ, par de petits subterfuges, ceux auxquels il fallait éviter de donner la parole au mauvais moment, et ceux sur qui Bayrou pouvait compter. D’où le procédé classique de l’appel, ici réduit au seul nom utile, celui de Farid Taha. Car si forte que soit la position de celui qui distribue le droit d’argumenter, d’objecter, de proposer et de juger, cette position risque de s’affaiblir, si l’on en use de travers. Il existe des gens qui prennent la parole qu’on leur refuse. Il faut les repérer.

Je m’en tiens à quelques remarques sur ce qui s’est joué dès l’ouverture de la séance. Elles montrent que Bayrou est un homme d’ouverture, un homme orchestre qui se jouer des ouvertures, en bon soliste du pluralisme. En virtuose de la relation directe. Mais en illettré de l’organisation. Comme la suite de la séance le montrera.

Mes remarques sont banales, certes. Les dénégations de Bayrou à l’endroit du pouvoir sont banales. On les rencontre depuis longtemps dans les entreprises, particulièrement en France, où elles colorent de l’esprit de mai 68 la réorganisation du travail en réseaux, animés par des acteurs libres d’initiative (voir “Le nouvel esprit du capitalisme”, Boltanski et Chiapello, 1999, une bonne analyse de la littérature managériale de 1970 à nos jours).

Tous ceux qui ont un peu l’expérience de l’action collective organisée, entreprise, syndicat, ONG, armée, organe de l’Etat, parti politique, savent qu’en fait de non-pouvoir, il s’agit d’une illusion, bien où mal exploitée, mais toujours par ceux qui ne la partagent pas.

Dans certains cas extrêmes, celui des sectes, celui du terrorisme religieux, l’ordre de se donner la mort, totalement dépourvue de “contrainte” juridique, est cependant exécuté, parfois massivement, avec confiance. A quel moment s’est joué cette obéissance sans limites ? Probablement au moment où le pouvoir de l’un a été incorporé en chacun sous l’aspect du devoir.

Nous sommes bien sûr très loin de ces cas extrêmes. Mais nous devons veiller à être séparés d’eux par autre chose que par des degrés d’intensité dans l’engagement : par des règles.

Leave a Reply

You must be logged in to post a comment.