L’impossible troisième voie

Lestée par le “Projet d’espoir”, certes, ses chances sont infimes. Mais on peut voir les choses autrement. La troisième voie, dans sa forme la moins utopique, pourrait être l’organisation d’une bipolarité interne, stricte, ou avec un pôle centriste en plus. Une reproduction, à l’intérieur de l’organisation, des conditions extérieures du jeu politique, mais entièrement soumise au régime de la négociation. Au lieu de constituer un centre fait de proximités entre centre droit et centre gauche, on rassemblerait des gens de droite et des gens de gauche décidés à négocier un programme commun. Des gens prêts à concéder tout ce que leur camp d’origine, dans son duel pour le pouvoir avec l’autre, ne pourrait concéder qu’à son détriment, mais qui s’évalue autrement, comme perte négociée, mutuelle, dans la perspective d’un accord.

Dispositif qui impliquerait la séparation formelle des pôles, de telle sorte que tout accord réponde aux choix d’une majorité absolue dans chacun d’eux. Instituer la bipolarité à l’intérieur, pour la dépasser à l’extérieur.

Il est illusoire, bien sûr, de fonder un tel projet sur une sorte de géométrie providentielle selon laquelle l’intérêt général jaillirait précisément à la jointure des blocs. Illusoire, de même, d’invoquer une conception irénique de la politique, car il s’agit presqu’au contraire d’accepter et d’exploiter à l’intérieur d’une organisation une conflictualité dont elle prétend ordinairement se préserver. Il faut de toute façon se détourner de l’idée que les arguments de droite et de gauche en faveur d’une telle entreprise puissent être sublimés par un centre à l’âme pure qui maîtriserait l’alchimie du processus.

Il y a, je crois, une critique de droite de la droite, ainsi qu’une critique de gauche de la gauche, qui l’une et l’autre pourraient trouver une issue pratique dans l’entreprise d’une troisième voie. Le contraire de la doctrine Bayrou. Il y a des raisons de droite de s’orienter vers une troisième voie, et des raisons de gauche. Toutes les reconnaître comme de bonnes raisons laisse entière leur différence. Le prix de l’accord, de même, n’est pas d’y renoncer.

Bref, il est sans doute plus facile de rassembler sur un projet que sur un programme. Mais il est plus efficace de s’accorder sur un programme que sur un projet.

Cette troisième voie devrait s’élargir au delà des version édulcorées de la gauche et de la droite qui se désignent comme centre gauche et comme centre droit. Cela suppose de mettre la critique de la bipolarité sur ses deux jambes. Sur le versant du duel, surexploité par Bayrou, on tend vers une affirmation largement démentie dans les faits, à savoir que ce que fait l’un au pouvoir, l’autre le défait quand il y accède à son tour. En réalité, il y a un autre aspect du système bipolaire, accommodant le duel en un duo généralement plus discret.

Ce versant complice ou solidaire de la bipolarité mériterait d’être exploré et analysé sérieusement. Il a été perçu sous des traits négatifs par une majorité de votants au moment du dernier référendum. Cela montre qu’il y a une “troisième voie” qui éveille - à juste titre, selon moi - une très large méfiance. Mais il y a entre gauche et droite d’autres formes d’entente, efficaces, qui préfigurent l’accord que l’on pourrait obtenir par l’organisation d’une troisième voie.

Pour conclure sur cette conception d’une troisième voie : en divisant la droite comme la gauche entre ceux qui préfèrent s’opposer et ceux qui préfèrent négocier, elle conserve et dépasse le bipartisme en même temps. En aucun cas elle n’en nie la réalité, ni ne se heurte à son principe.

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