Mesurons-nous autrement

Il arrive que certains d’entre nous l’avouent : ils ne parviennent plus à “faire semblant d’y croire“. Cela montre que nous n’accordons pas à l’art se persuader tout le soin qu’il mérite. Cet art, comme tout art, s’entretient et se cultive. Sinon, il dépérit. Et l’on se retrouve un jour face aux froids démons de la lucidité.

Il ne s’agit pas de se mentir à soi-même, comme on se l’imagine parfois. C’est même quasiment l’inverse. Pour me mentir à moi-même, sincèrement, je préfère être seul et sans témoin. Tandis que pour me persuader moi-même, il faut tout au contraire que d’autres veuillent bien partager ma croyance et s’en faire les reflets. Cela passe par l’autre. De telle sorte que cela se rattache de la manière la plus étroite à nos valeurs de partage et de solidarité. Si l’on veut bien y songer un peu, nous devons peut-être même à cet art de se persuader la clef de voute de toutes nos valeurs. Le point par lesquelles elles s’articulent à notre subjectivité. Cet art est au coeur de nos convictions.

Permettez-moi, une fois n’est pas de coutume, de vous livrer la question pédante que je viens de me poser, concernant l’étymologie de “conviction”. Oui, “cum”, c’est “ensemble”, pas de doute. Mais “victus” ? Est-ce vraiment ” être vaincu” ? Etre au passif d’une victoire ? N’est-ce pas plutôt le “victus” que l’on retrouve dans “victuailles”, et qui veut dire tout simplement “nourriture” ? En ce cas, sans être très catholique, je crois pouvoir établir un lien solide entre l’art de se persuader et la Cène. Le partage du pain et du vin y épouse, dans le même élan, notons-le, celui d’une croyance fondamentale. Comme chacun sait, l’opération transforme ces aliments en une présence sacrée. Ils n’en sont pas moins comestibles. Et parfaitement digestes.

Rassurez-vous. Je garde un certain sens pratique. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec la doctrine de l’Eucharistie. Mettons en œuvre notre art, et procurons-nous des sentiments plus vifs. Nourrissons-nous des croyances nutritives, des convictions substantielles que réclame notre corps autant que notre âme. Partageons, mes frères, en guise de pain et de vin, les chiffres des municipales. Ce choix n’est pas fait au hasard. Les données du ministère de l’intérieur comportent en elles-mêmes une sorte de défi à notre art. Relevons-le sans crainte, les amis. Les ressources de notre art sont inépuisables, et sa force insurpassable.

Je cite tout d’abord, dans le texte intitulé “Priorité au projet et à l’organisation du MoDem”, un communiqué du 27 mars 2008, cet extrait :

“Le Bureau Exécutif du Modem, composé d’une trentaine de membres, a tiré un premier bilan de ces élections et a relevé [sic] le score moyen de 15,9% du premier tour par les 350 listes autonomes du Modem dans les villes de plus de 10.000 habitants, avec des pointes entre 16% et 32% dans plusieurs villes. Le MoDem a gagné 34 villes de plus de 10.000 habitants, 15 au premier tour et 19 au deuxième, et y a recensé près de 1100 élus, un bilan jugé positif.

(source : site du mouvement Démocrate)

Notre but est simple. Il est de nous satisfaire de ces indications, en nous persuadant qu’elles constituent une synthèse de nos bons résultats aux municipales. Cela demande un travail progressif.

Le site de notre mouvement tarde à nous communiquer le détail de ces résultats. D’où, chez certains, de la méfiance. Et parfois même de l’incrédulité. Pourquoi, se disent-ils, ne pas couper court aux polémiques ? Il est facile, à partir de là, de se persuader que ces chiffres sont faux, ou qu’ils ne veulent rien dire. Notre but, inversement, exige tout notre art.

L’art n’exclut pas la méthode. Les listes autonomes du MoDem ont été recensées à partir des déclarations de candidature, leurs résultats sont officiels, et on peut rapporter chaque circonscription à ce seuil de 10 000 habitants, à l’aide de statistiques de l’INSEE. Faire tout cela peut vous paraître imprudent, compte tenu de l’objectif. Je vous réponds qu’il n’y a pas d’art sans audace.

Ces données une fois rassemblées, on constate qu’il n’y a pas 350 listes répondant au critère de l’autonomie dans les villes de plus de 10 000 habitants. Seules 268 listes répondent à ces critères. Soit 30% des 900 villes de plus de 10 000 habitants, qui à elles toutes constituent la moitié de la population française.

Ce n’est pas un gros problème. Il suffit d’ajouter des villes sous le seuil des 10 000 habitants. Une dizaine. Cela ne fait pas le compte ? Ajoutons des listes d’alliances. Ca fait 53 de plus. Ca ne suffit toujours pas ? Alors mettons des listes ni autonomes, ni suffisantes en nombres d’habitants. 16 de plus. Cela nous fait 346. Presque 350. Vous voyez. On y arrive. Il suffit d’être scrupuleux.

Le “score moyen” des 268 listes qui répondent aux critères choisis par le Bureau Exécutif est de 12,06%. Cela mesure la performance moyenne des listes autonomes, indépendamment de la taille de la commune. C’est moins enthousiasmant que 15,9%. Cela reste pourtant très avantageux. Cela efface un aspect douloureux de ces performances locales : elles sont bien meilleures dans les petites villes (14,58% pour les 134 de la seconde moitié) que dans les grandes (9,54% pour les 134 de la première moitié). Comme humanistes, nous devrions nous en réjouir. Certains d’entre nous, cependant, restent attachés aux quantités.

Pour ces derniers, on peut d’ailleurs mettre en relief cette disparité d’une autre manière. Faisons des 268 villes deux groupes égaux en population, l’un constitué des grandes villes, l’autre des petites. Le groupe des grandes villes comporte maintenant 50 villes représentant 7 300 000 habitants, et son score moyen est de 9,06%. Celui des 218 petites villes restantes, représentant le même nombre d’habitants, a un score moyen de 12,73%.

J’attire votre attention sur un point. En divisant autrement les deux groupes, nous avons malencontreusement fait baisser leur deux scores moyens. Lorsque les deux groupes étaient égaux en nombre de villes, les scores étaient de 9,54% et de 14,58%. La moyenne du tout (12,06%) était aussi la moyenne de ces deux scores de groupe. Mais lorsque les deux groupes sont égaux en population, la moyenne de leur scores ne coïncide plus avec celle du tout. Elle baisse. Elle est de 10,89%. Cela montre qu’il faut se garder d’introduire des considérations de taille de circonscription dans notre synthèse des résultats.

Il importe donc que chaque score de liste, qu’il s’agisse de la plus petite ville ou de la plus grande, pèse exactement le même poids. De telle sorte que dans notre synthèse, les 400 voix gagnées à Monbard avec un score de 17,23% valent deux fois les 4000 voix gagnées à Limoges avec un score de 8,46%. A pourcentage égal, gloire égale. Chaque enjeu local est d’une singularité irréductible. C’est un absolu. Seule la mesure de la proximité avec l’absolu a un sens. Ainsi, notre art de nous persuader nous détourne insensiblement de ces choses terrestres que sont les voix. Conformément à la devise des Jésuites : “Pro Majorem Dei Gloriam”.

Nous aurons sans doute à lutter contre des gens qui nous dirons que sur 5 millions de suffrages exprimés, nous avons obtenus 500 000 voix, soit 10%. Laissons-les jouer à leur Monopoly démocratique, empiler la monnaie usée des voix, et pleurer sur leur part de marché. Aux municipales, ces 10% ne veulent rien dire. Avec moins de la moitié de nos 10%, le PC remporte 2 fois plus de villes de plus de 10 000 habitants que nous. Il y a quelque chose de diabolique là-dedans, dont il faut se garder.

Non. Ne cherchons pas à nous mesurer selon les critères sordides des partis ordinaires. Mesurons-nous autrement. Cultivons notre art. C’est à lui que devons notre grandeur. C’est par lui que nous nous grandirons encore.

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