Union et Alliance, une question très exposée au vandalisme politicien
Nous jugeons sévèrement ceux qui brûlent la voiture du voisin et l’école du quartier. Nous sommes d’une extrême indulgence, en revanche, devant des actes de vandalisme bien plus routiniers et d’une autre ampleur. Des politiciens, pour un oui ou pour un non, sont saisis d’une démagogie frénétique, et ravagent la chose publique à force de simplisme et de dénégations, laissant dans leur sillage une opinion publique ruinée, pénétrée de son irresponsabilité, vidée de tout sens délibératif, condamnée à vivre parmi les ruines sous l’abri de fortune de la radicalité abstraite et des bons sentiments.
Si ferme que l’on soit dans l’opposition à la politique que soutient une majorité dont on n’est pas, tout jugement sur ce qu’il faut faire dans l’intérêt commun doit adopter la perspective de ceux qui détiennent le pouvoir de le faire. L’abandon de cette perspective, par lequel elle devient la jouissance exclusive de l’exécutif, c’est l’abdication en bonne et dûe forme de la citoyenneté. Le gros de la classe politique, qui a ancré l’émeute anti-républicaine dans ses comportements de routine, n’a pas d’autre vocation que d’obtenir cette abdication, en laquelle il voit une condition fondamentale de l’exercice de son art.
Ce n’est pas le privilège de l’opposition. Il y a certes, parmi ces vandales professionnels, celui qui est bien décidé à en découdre avec la République, dès que l’électeur s’est refusé à en faire sa chose à lui. Mais il y a chez ceux qui gouvernent tout autant de contournements des critères de la conduite politique, sinon dans tous leurs choix, du moins dans la plupart de leurs justifications publiques.
Il en résulte que tout incursion dans le paysage de la décision politique, pesant le pour et contre de ses arguments, ne peut se revendiquer comme une pratique citoyenne sans être perçue par le politicien ordinaire comme une menace, quand elle n’est pas traitée de facto comme une usurpation.
Le site du Mouvement Démocrate rend compte d’une déclaration de Didier Bariani, datée du 17 juin 2008, le jour de la parution du Livre blanc sur la Défense, en ces termes :
“le Livre blanc sur la Défense représente “l’application d’une logique comptable”. Ce document “est très habilement présenté” mais “c’est l’application d’une logique comptable à la politique de défense nationale”, a estimé dans un communiqué l’ancien Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. “Chacun sait que l’Europe de la défense est un impératif mais aujourd’hui, ce n’est encore qu’un horizon”, a-t-il ajouté. “Dans ces conditions, la seule alternative crédible en matière de défense, une fois que notre appareil de force nationale aura été réduit, non seulement dans sa taille mais aussi dans ses capacités opérationnelles, sera une dépendance plus grande vis-à-vis de l’Otan”, a regretté M. Bariani.”
Didier Bariani n’a pas lu le Livre blanc. Il n’a pas lu non plus les comptes rendus que les journaux en ont donné. Il a peut être lu quelques gros titres. Mais distraitement. Sinon, il se garderait bien de critiquer la “logique comptable” de ce rapport. A moins qu’il veuille dire par là que le budget de la Défense aurait nécessairement dû être proposé à la hausse par la Commission. Mais en ce cas pourquoi ne pas le dire d’une manière plus claire ? En s’obligeant bien sûr à indiquer quel serait le financement de ce supplément budgétaire, qu’il faudrait trouver ailleurs que dans une augmentation de la dette. Rappelez-vous. Tout le programme présidentiel de Bayrou était strictement régit par cette logique purement comptable.
Ou bien fallait-il soustraire la Défense à cette même logique ? En ce cas, là aussi, pourquoi ne pas le dire ?
L’impact budgétaire des propositions du Livre blanc est globalement nul. C’était la règle du jeu posée dès le départ par la lettre de mission de Sarkozy. Bariani, qui a bien dû s’arrêter une bonne douzaine de secondes devant le marchand de journaux, à parcourir les plus gros titres, a visiblement crû, puisqu’on y parlait partout de réduction d’effectifs, que le budget proposé était en diminution. Contresens grotesque. Il l’aurait évité, rien qu’en lisant attentivement le titre des Echos, par exemple : “La Défense perd 54 000 postes pour financer sa modernisation”. En sous-titre, le journal précise que “les crédits militaires seront maintenus jusqu’en 2020″.
Reste cette perspective inexorable d’une “dépendance plus grande vis-à-vis de l’Otan”. Là non plus, Bariani ne se fatigue pas trop. Pour se faire une idée de la question, il aurait pu entrouvrir le Livre blanc, et prendre connnaissance de la position officielle du Mouvement Démocrate, telle qu’elle a été exposée lors de l’audition du général Morillon, l’automne dernier.
Mais prenons les choses dans l’ordre chronologique, qui nous fera considérer la déclaration de Bariani sous un jour plus charitable.
Le général Morillon s’est pas présenté comme représentant du Mouvement Démocrate devant la Commission chargée du Livre blanc sans s’être concerté avec Bayrou sur la position à adopter sur cette question. Bayrou semble avoir renoncer, à cette occasion, à une exploitation démagogique et nationaliste du thème de la réintégration dans l’OTAN, dont un discours prononcé deux mois plus tôt - le 16 septembre - donne la meilleure illustration :
“Tout cela, chacun de ces gestes, pris individuellement, pourraient être maladresses, hâte de novice, gestes improvisés, mais tout cela fait un système et ce système, je le crois, n’est pas le choix fondamental des valeurs historiques de la France.
Je m’arrête un instant sur cette déclaration du ministre de la Défense sur l’OTAN. On peut discuter, on peut réfléchir à un nouvel équilibre du monde qui rendrait essentielle l’exigence de construction d’un pilier européen de la défense, qui se placerait face aux États-unis et, avec eux, à égalité de droits et de devoirs.
Ce n’est pas un médiocre sujet de réflexion et Philippe Morillon sait ce qu’il en est, mais que le ministre de la Défense, dans l’exercice de ses fonctions, à l’université d’été de la défense, présente ces 40 années d’indépendance ombrageuse de notre pays comme du “chipotage”, comme du “barguignage”, ces mots péjoratifs, ces mots condescendants, ces mots qu’utilisent les machos qui se moquent des “vieilles filles”, alors il y a là, en effet, une rupture avec ce qui a été la grandeur, l’horizon, non pas le rêve, mais l’idéal d’indépendance de la France dans le monde !?
Que ce soit des ex-gaullistes qui proclament cette politique du “rentrer dans le rang”, “vite-vite”, “dare-dare”, et le plus tôt sera le mieux, et que, évidemment, on arrête de nous embêter avec cette aspiration de la France, et que la France en finisse avec ses scrupules, avec ses combats, alors on comprend que la formation du gouvernement n’est pas un hasard et qu’il existe des liens profonds depuis longtemps entre ceux qui occupent ces responsabilités et l’on se souviendra alors des débats sur la guerre en Irak et de qui disait non et de qui voulait que l’on se range. ”
… et ceux qui disaient non se souviendront peut-être que personne, parmi eux, n’étaient en mesure de dissuader les Etats-Unis d’intervenir en Irak, que leur pacifisme était un modèle d’impuissance, et qu’il puisait toute sa virulence dans la certitude de son propre échec.
Pour la beauté du contraste, venons-en à des extraits de l’audition du Mouvement Démocrate, par la Commission du Livre blanc, le jeudi 8 novembre 2008 (Tome 2, Les Débats) :
1°) Propos du général Philippe Morillon relatifs à l’Union Européenne et à l’Alliance Atlantique (pp. 140-141)
Le problème consiste en une dualité qui nous a longtemps été imposée entre la construction d’une défense européenne et une appartenance à l’Alliance Atlantique. Je suis de ceux qui considèrent qu’il n’existe pas de rivalité entre ces deux tendances mais qu’elles sont complémentaires. Si nous ne sommes pas capables, nous, les Européens, de constituer cette capacité de défense dans la mesure de ce qui est attendu de nous et si nous ne sommes pas capables de donner une consistance à cette défense européenne, l’Alliance Atlantique disparaîtra. Je formule ce pronostic devant vous. La tentation des Américains de se passer de l’Alliance est de plus en plus forte. Il ne faut pas en vouloir aux Américains de cette approche. Le citoyen américain commence à se demander pourquoi il continuerait à dépenser beaucoup d’argent pour la défense d’Européens qui sont en passe de devenir aussi riches que lui et peut-être même plus riche, sauf à la condition que les Européens acceptent le leadership de l’empire américain.
Par conséquent, aujourd’hui, en Europe se présente un choix : soit nous sommes capables de partager, comme le réclament les Américains, le fardeau de la défense de notre Europe, car l’Europe de la défense n’assure pas la défense de l’Europe et seule l’Alliance Atlantique peut le faire, soit nous ne sommes pas capables de prendre nos responsabilités à l’intérieur de cette Alliance et d’en assumer progressivement le leadership avec d’autres, en particulier avec le Royaume-Uni.
[…]
Nous avions l’ambition, au moment de la convention de Saint-Malo, de ne pas perdre de vue d’entraîner les États membres de l’Union à une prise de conscience de ce que nous ne pouvons pas prétendre à la fois indiquer aux Américains ce qu’il faut faire des forces rassemblées au sein de l’Alliance Atlantique et se placer entièrement sous leur protection. Je pense qu’il s’agit du point essentiel de mon intervention.
[…]
2°) Réponses à diverses questions (pp. 145-146) :
Général Philippe Morillon — Je vais vous lire ce que j’ai écrit : « À cet égard, en ce qui concerne la protection, je voudrais insister sur le fait que l’Europe de la défense n’est pas ou pas encore la défense de l’Europe. Jusqu’à présent, la défense de l’Europe, c’était l’OTAN. Protéger son territoire reste pourtant la fonction de base qui justifie l’usage d’outils de défense. Nous sommes toujours aujourd’hui dans cette situation paradoxale où l’OTAN joue en grande partie ce rôle. Je souhaite que petit à petit, les pays européens reprennent en charge cette fonction essentielle de leur défense. Il faut pour cela que nous acceptions de partager le fardeau financier de cette protection. Unis au sein de l’OTAN, les Européens pourraient légitimement revendiquer le leadership. Dans une telle perspective, on peut s’interroger sur le bien fondé de la politique de la “chaise vide” poursuivie par la France dans les instances intégrées de l’Alliance. »
Jean-Claude Mallet — Il me semble que cette question ne concernait pas spécifiquement l’OTAN.
Général Philippe Morillon — En refusant de faire partie des instances opérationnelles de l’OTAN, nous avons privé un certain nombre de nos chefs militaires, dont certains possédaient de grandes qualités, d’exercer des responsabilités auxquelles ils pouvaient prétendre. En effet, la réputation de l’armée française, en Europe en général, et au sein du Parlement en particulier est très bonne. Le Président Chirac, lorsqu’il a commencé à discuter de ce problème, a revendiqué le fait que des postes soient confiés à des responsables militaires français. Seulement, cette demande n’a pas abouti à l’époque. Bentégeat est aujourd’hui le patron d’une entreprise qui, je l’espère, va compter progressivement.
Jean-Claude Mallet — Je rappelle pour ceux qui nous écoutent que le général Bentégeat est le président du Comité militaire de l’Union européenne.
Général Philippe Morillon — Si nous nous présentons avec cette prétention d’être des alliés, et de refuser d’être « les Athéniens de la Rome antique », nous, Européens, disposons de tous les atouts nécessaires, comme celui de l’héritage ou celui de l’expérience en matière de défense, et cette expérience compte encore davantage que les équipements. De plus, la principale raison de notre engagement est la défense de nos valeurs, qui sont attendues dans le monde entier. Nous avons le droit, et peut-être le devoir d’imposer que la France prenne une initiative forte dans ce domaine. Cette initiative est attendue par d’autres et mérite réflexion.
Ceux qui auront pris la peine de lire les extraits qui précèdent mesureront l’ampleur du malentendu qui règne dans le Mouvement Démocrate au sujet de la réintégration de la France dans le commandement unifié de l’OTAN. Un malentendu énorme. Il suffit de lire certaines réactions à la déclaration de Bariani.
Pour le général Morillon, un objectif d’indépendance à l’égard de l’OTAN serait totalement dépourvu de sens. Il veut au contraire que l’Union prenne le contrôle de l’OTAN, ce qui implique une pleine intégration de la France à son commandement :
“Unis au sein de l’OTAN, les Européens pourraient légitimement revendiquer le leadership. Dans une telle perspective, on peut s’interroger sur le bien fondé de la politique de la “chaise vide” poursuivie par la France dans les instances intégrées de l’Alliance.”
Le public n’était pas le même, certes. Mais la position était quasiment inverse. La question se posait donc de savoir celle qui prévaudrait finalement. Début avril, hélas, retour à la démagogie pseudo-gaullienne :
“François Bayrou a estimé jeudi sur France Culture que la France était en train de perdre son indépendance avec le retour dans le commandement militaire intégré de l’Otan annoncé par le président Nicolas Sarkozy. “La période où la France était indocile est derrière nous”. “Il y a 42 ans que le général de Gaulle a pris la décision de quitter le commandement intégré de l’Otan. La France a gagné en 42 ans une liberté de parole qui nous a permis par exemple de dire non au moment de la guerre en Irak”.
“Cette indépendance, cette liberté-là, c’est quelque chose de précieux pour notre pays qu’on est en train de perdre dans l’élan vers l’alignement que Nicolas Sarkozy incarne depuis longtemps et dont je ne crois pas qu’il soit conforme à l’histoire, au génie de notre pays, et pas non plus à la volonté des Français”, a-t-il insisté. François Bayrou a également noté que “ce rapprochement avec l’Otan intervient dans le moment même où en Allemagne le gouvernement manifeste beaucoup d’indépendance. Dans le temps même où l’Allemagne se rapprochait de cette position d’indépendance de la France, nous, nous faisons le choix inverse en disant que ça va nous permettre de bâtir une défense européenne. Je ne crois pas que ce soit le juste chemin“.
La réintégration dans l’OTAN augmente-t-elle notre contrôle sur l’orientation de l’Alliance, ou consiste-t-elle en un assujettissement à la politique étrangère des Etats-Unis ? On trouvera dans le Livre blanc, exposés avec une certaine prudence, la plupart des éléments de la question. En lisant attentivement, on y découvrira aussi l’amorce d’une réintégration progressive dont les contreparties seraient négociées assez méticuleusement. Ce qui me paraît très conforme à la ligne que le général Morillon esquissait devant la Commission, au nom du Mouvement Démocrate.
La suite se devine. Le malentendu ne doit être levé que lorsqu’il cesse d’être exploitable. Bayrou se chargera de le réactiver.